Annamaria Monti, « Pomante (Luigiaurelio). Per una storia delle università minori nell’Italia contemporanea. Il caso dello Studium Generale Maceratense tra Otto e Novecento », Histoire de l’éducation [En ligne], 142 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 22 juin 2016. URL : http://histoire-education.revues.org/2985
L’ouvrage de Luigiaurelio Pomante, consacré à l’histoire de l’université de Macerata aux XIXe et XXe siècles s’inscrit dans un courant prolifique de recherches. D’un côté, l’histoire de cette « petite » université de l’Italie centrale a retenu l’attention des historiens à plusieurs reprises ces dernières années, des plus anciens travaux de Sandro Serangeli sur l’histoire du Studium maceratense à l’âge moderne, jusqu’aux récentes contributions collectées par Roberto Sani, et par Serangeli. D’un autre côté, les études sur l’histoire de ces universités dites « mineures » – dont l’ouvrage de L. Pomante est un exemple – se développent en Italie avec succès depuis une vingtaine d’années. Dans sa préface riche et stimulante, Gian Paolo Brizzi retrace les conditions d’émergence et les étapes du développement de ce courant historiographique. Il explique qu’au début des années 1990, le champ d’investigation des historiens s’est étendu à l’ensemble de l’offre d’enseignement supérieur, au-delà des grandes universités de la Péninsule qui avaient longtemps monopolisé l’attention des chercheurs, afin de saisir la complexité et la richesse du système universitaire dans son ensemble et de mettre en relief le rôle joué par ces institutions d’enseignement supérieur dans les différents contextes régionaux.
Depuis lors, nombreux ont été les travaux développés dans cette direction. À leur tour, ces recherches ont renouvelé les perspectives de réflexion sur le processus de construction de l’État national au XIXe siècle et sur les relations entre centre et périphérie dans l’Italie post-unitaire. S’inscrivant dans ce courant majeur, l’auteur replace les vicissitudes de l’université de Macerata, ancien établissement universitaire de la région des Marches, dans le contexte plus général de l’histoire des universités italiennes et, plus spécifiquement, des universités dites « mineures » à partir de l’époque napoléonienne et puis sous la Restauration.
En effet, les réformes de Napoléon, qui créent une hiérarchie parmi les institutions d’enseignement supérieur de la Péninsule (tout comme en France) non remise en cause par la suite, établissent une distinction entre universités majeures et mineures. Cette différenciation n’existait pas sous l’Ancien Régime et se fonde désormais sur une série de paramètres, tels que la nature et l’importance des financements gouvernementaux, le nombre des facultés et des chaires, la présence de bibliothèques, laboratoires, jardins botaniques, etc.
Avec la création de l’État unitaire et dans l’urgence de réorganiser et d’uniformiser le système universitaire sur l’ensemble du pays, la distinction est reprise par la loi du 31 juillet 1862 qui formalise une classification des établissements du royaume selon le nombre des facultés et des étudiants. L’objectif est de concentrer les ressources économiques afin de rendre plus compétitives à l’échelle européenne les universités les plus importantes, dites « de premier niveau » : Bologne, Naples, Palerme, Pavie, Turin, Pise, auxquelles s’ajoutent Padoue en 1866 et Rome en 1870. Dans le même temps, étant donné l’attachement des communautés locales aux institutions plus petites, dont l’origine remonte souvent à la période médiévale ou moderne, et face aux résistances rencontrées dans les débats parlementaires lorsque leur abolition était proposée, on finit par les incorporer dans le réseau des universités royales comme universités mineures, dites « de deuxième niveau ».
Macerata fait partie de cet ensemble. Si en 1860-1861, elle comptait trois facultés, (droit, médecine et chirurgie et philosophie), à partir de 1862, à la suite de la réforme évoquée, il ne lui reste qu’une faculté de droit. Elle devait rester dans cette situation jusqu’en 1964 : celle d’une petite université qui comprenait une seule et unique faculté, celle de droit, et des ressources financières très limitées (l’État, par exemple, ne prenait pas en charge les rétributions des professeurs). L’auteur décrit les étapes d’un parcours mouvementé qui, tout au long des XIXe et XXe siècles, conduit cette université des Marches à lutter pour se libérer de ce stigmate et pour se hisser au niveau des institutions d’enseignement supérieur de première catégorie. L. Pomante s’est plongé dans une très riche documentation d’archives et a fait appel à un grand nombre de sources imprimées pour retracer dans son livre la genèse d’une foule de réglementations législatives et ministérielles, le rôle de différentes personnalités politiques – parlementaires originaires des Marches ou bien notables locaux –, les interventions des administrations municipales et de la presse locale, ainsi que l’évolution des aides financières du gouvernement local (Comune et Provincia). Ces interventions conduisent à la création d’un Consortium universitaire en 1880 qui doit relancer définitivement l’institution. Au-delà des difficultés rencontrées, le but, à la fin du XIXe siècle, est d’obtenir pour Macerata « l’égalisation » (pareggiamento) avec les universités majeures, rendue possible à certaines conditions par le gouvernement de gauche qui avait pris le relais au niveau national.
L’auteur retrace également les efforts des recteurs pour promouvoir les inscriptions d’étudiants de la région ; les quêtes de financements ; les rapports avec les milieux économique et entrepreneurial de la ville et ses alentours ; l’effort plus général de la ville elle-même de dépasser son isolement géographique en investissant dans une amélioration des transports en commun. Finalement, L. Pomante arrive à nous offrir avec cet ouvrage une histoire vivace, précise et très documentée, à plusieurs voix.
Et, parmi les voix différentes qui ont été confrontées aux difficultés de la vie quotidienne dans cette petite université, se détachent particulièrement celles de jeunes professeurs de droit très doués, qui ne considèrent Macerata que comme une première étape d’une carrière destinée à se terminer dans une faculté de premier niveau, comme professeurs ordinaires. Ce phénomène contribue à expliquer une des difficultés majeures et récurrentes rencontrées par l’institution universitaire, le manque d’enseignants. Mais en leur donnant la parole, L. Pomante permet aussi de mettre en avant un autre point de vue. Elle montre que, souvent, les deux ou trois années que passent ces jeunes enseignants prometteurs à Macerata en tant que professeurs extraordinaires, ont été pour eux une expérience formatrice fondamentale, l’occasion de se faire un réseau en créant des liens avec les autres jeunes collègues issus de toutes les régions de l’Italie ainsi que l’opportunité de se faire connaître dans le milieu universitaire au travers des leçons inaugurales. C’est le cas, à la fin du XIXe siècle, pour des juristes reconnus comme que Federico Patetta (histoire du droit), Giacomo Venezian (droit civil), Giulio Cesare Buzzati (droit international) et Angelo Sraffa (droit commercial) : ce dernier a prononcé, à Macerata en 1894, un discours resté célèbre, sous le titre « La lutte commerciale », qui est présenté aujourd’hui comme une sorte de manifeste précurseur sur des thèmes cruciaux comme celui de la protection des consommateurs.
L’ouvrage retrace les difficultés et les paradoxes qui jalonnent l’histoire de cet établissement de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale. Ainsi, après avoir abordé les questions qui agitent Macerata au tournant du XXe siècle, l’auteur étudie plus spécifiquement les conséquences de la réforme de 1923 du ministre Giovanni Gentile. Cette loi, de portée historique pour l’enseignement supérieur en l’Italie, organise le système universitaire en réintroduisant une hiérarchie parmi les universités et renoue, donc, pour Macerata, avec les problèmes déjà rencontrés dans les décennies précédentes. Enfin, après une nouvelle période d’agitation, qui fait suite à la Seconde Guerre mondiale et à la chute du fascisme, la petite université connaît, dans l’Italie républicaine, l’évolution positive, tant souhaitée et recherchée, dont la description nous mène jusqu’à la veille des révoltes des étudiants de 1968, point final de l’étude de L. Pomante.
L’index des noms que l’auteur a rédigé est un outil précieux pour les chercheurs, étant donné la quantité de personnages qui participent à l’histoire tourmentée de cette institution d’enseignement supérieur. Et ce d’autant plus que L. Pomante inscrit l’histoire spécifique de l’université de Macerata dans un contexte plus général qui pourrait être utilement réemployé pour retracer l’histoire d’autres universités mineures. Le cas de Macerata constitue par ailleurs un exemple vivant d’histoire complexe de l’université en Italie, en mettant l’accent sur des sujets qui sont encore au cœur de l’actualité : il suffit de penser aux tensions très fortes qui traversent aujourd’hui le débat public et politique italien quant au nombre pertinent d’universités sur le territoire national, aux moyens de financement et à l’éventuel classement des établissements. Ces derniers sont élaborés sur la base de critères assez discutés, et fournissent des éléments dans l’opposition entre partisans d’universités méritocratiques et compétitives, et ceux qui les envisagent, au contraire, comme des lieux de formation garant du droit à l’instruction, protégé par la Constitution de 1948 et, bien sûr, portant une attention spécifique aux différentes situations locales.