di Michel Ostenc, “Bulletin bibliographique”, Archives de sciences sociales des religions, octobre-décembre 2016, n° 176, pp. 368-370. © Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris ISSN 0335-5985 ISBN 13 978-2-7132-2679-3
L’histoire de la Federazione Universitaria Cattolica Italiana est bien connue (M. C. Giuntella, La FUCI tra modernismo, partito popolare e fascismo, Rome, Studium, 2000 ; G. Marcucci Fanello, Storia della Federazione Universitaria Cattolica Italiana, Rome, Studium, 1971 ; R. Moro, La formazione della classe dirigente cattolica (1929-1937), Bologne, Il Mulino, 1979 ; F. Malgeri (a cura di), FUCI: coscienza universitaria, fatica del pensare, intelligenza della fede. Una ricerca lungo 100 anni, 1996). Luigiaurelio Pomante se propose d’étudier particulièrement les réactions de l’association étudiante catholique face à la politique universitaire, notamment pendant la période de reconstruction du second après-guerre dans les années 1950-1960. Il s’y emploie en utilisant de nombreux fonds documentaires, en particulier les archives de la présidence de la FUCI conservées auprès de l’Institut Paul VI à Rome qui possède les actes des colloques annuels de cette organisation.
En dépit du rejet d’un nationalisme incompatible avec les principes chrétiens, beaucoup de jeunes catholiques italiens furent emportés par le mouvement patriotique de 1915 et la FUCI dut affronter par la suite les multiples problèmes du premier après-guerre. Pour la première fois de son existence, elle fut invitée à réfléchir sur un renouveau du système universitaire et elle accentua la formation militante de ses adhérents ; mais elle se heurta aux réticences de l’Action catholique dont elle dépendait et qui redoutait ses velléités autonomistes. Avec l’accession de Mussolini au pouvoir, la FUCI subit les attaques et les violences du fascisme intransigeant et elle dut préserver son indépendance menacée par les organisations étudiantes du nouveau régime. La nomination de Gian Battista Montini comme assistant ecclésiastique et celle d’Iginio Righetti à la présidence de l’organisation, tous les deux considérés comme des « hommes du Vatican », marqua son insertion totale dans les rangs de l’Action catholique. La FUCI obéit à un programme de discipline morale et spirituelle étranger à tout engagement politique, mais orienté vers la prise de conscience d’une responsabilité intellectuelle et sociale. Elle n’était plus qu’une organisation apolitique ne disposant que d’une capacité réduite de pénétration dans la jeunesse étudiante. L’historiographie a inventé la notion d’« afascisme » pour caractériser l’attitude des milieux catholiques italiens qui éprouvaient peu de sympathie pour la politique de Mussolini sans la combattre activement (R. Moro, Afascismo e antifascismo nei movimenti intellettuali di Azione cattolica dopo il 1931, « Storia contemporanea », 1975, p. 733-799).
Après une longue période de consensus, jalonnée d’adhésions ponctuelles à la conquête de l’Éthiopie et à la « défense de la chrétienté » pendant la guerre d’Espagne, l’histoire de la FUCI connut un tournant en 1939. La présidence d’Aldo Moro symbolisait l’arrivée d’une nouvelle génération élevée pendant la dictature et participant pleinement aux activités de Gruppi Universitari Fascisti (GUF) dépendant directement du parti. Aldo Moro lui-même avait participé aux Lictoriales de Palerme en avril 1938 et s’était classé cinquième au concours de « Doctrine du fascisme » ; mais ces jeunes catholiques témoignaient de leur attachement à leur foi en émettant des réserves à l’égard des positions les plus radicales du fascisme intransigeant. Ils défendaient un catholicisme romain, tout en préconisant son insertion dans les formes les plus avancées de la société industrielle. Aldo Moro affirma davantage la présence de l’organisation étudiante dans l’université et lui donna une nouvelle dimension religieuse fondée sur l’engagement personnel et la responsabilité de l’homme moderne (R. Moro, Aldo Moro negli anni della FUCI, Rome, Studium, 2008). Cette orientation annonçait l’importance qu’Aldo Moro devait donner plus tard aux fondements moraux et religieux de l’engagement politique ainsi qu’à la formation civique et démocratique des jeunes générations. Toutefois, les difficultés s’accumulaient pour les organisations catholiques. La marche au totalitarisme du régime fasciste s’accompagnait d’une reprise de son anticléricalisme et Pie XII choisit une attitude pleine de prudentes expectatives à l’égard d’une Action catholique toujours suspecte pour la dictature.
La déclaration de guerre du 10 juin 1940 fut accueillie dans un élan patriotique de commande ; mais la FUCI s’efforça de trouver des motifs de présence chrétienne parmi les combattants afin qu’un engagement moral et spirituel pût survivre à l’effondrement politique et social qui se profilait. Le mandat de Giulio Andreotti (1942-1944) à la présidence de l’organisation étudiante fut caractérisé par une forte empreinte sociale qui dénonçait un embourgeoisement de la jeunesse catholique en complète négation des principes évangéliques. Tout en désavouant les campagnes fascistes destinées à susciter la haine de l’ennemi, la FUCI ne pouvait souhaiter une défaite qui signifiait la mort de tant de jeunes Italiens ; mais en agissant sur les consciences, elle réussit à former une génération de jeunes catholiques dont la diversité des orientations politiques n’empêchait pas un idéal commun.
La FUCI participa à la reconstruction civique et morale du pays après 1945. La longue marche de l’organisation étudiante à travers le fascisme avait rompu ses liens avec le mouvement démocratique et elle revendiqua auprès de l’Église des principes idéologiques susceptibles de permettre au catholicisme d’asseoir son emprise sur de larges couches de la société. L’Italie devait compter au cours des décennies de l’après-guerre trois présidents de la République, sept présidents du Conseil et un nombre considérable de ministres formés dans l’organisation de jeunesse universitaire catholique ; mais, pendant que le « Movimento laureati » fournissait une grande partie des militants politiques de la Démocratie chrétienne, la FUCI privilégiait à nouveau une orientation plus pédagogique et religieuse (Ouvrage collectif, In ascolto della storia. L’itinerario dei « Laureati cattolici »: 1932-1982, Rome, 1984). L’auteur accorde une importance fondatrice à l’enquête ordonnée par le ministre Guido Gonella pour la réforme de l’école. L’université occupa ainsi une place essentielle dans les débats de la FUCI en 1948. La situation n’était plus celle du premier après-guerre où les catholiques étaient minoritaires et se heurtaient à des positions anticléricales dominantes
Les travaux de la commission de la réforme de l’école ont déjà été étudiés (G. Chiosso, Motivi pedagogici e politici nei lavori dell’inchiesta Gonella (1947-1949), « Pedagogia e Vita », 45 (1983-1984), no 3, p. 295-321 ; L. Pazzaglia, Ideologie e scuola fra ricostruzione e sviluppo (1946-1958), in : L. Pazzaglia (a cura di), Chiesa e progetto educativo nell’Italia del secondo dopoguerra (1945-1958), Brescia, La Scuola, 1988). L’auteur complète ces travaux par un examen approfondi des communications présentées aux différents colloques de la FUCI. La nouvelle génération des années 1950 cherchait une adaptation de l’enseignement aux bouleversements socio-économiques qui transformaient profondément l’Italie. La FUCI s’efforça de développer l’esprit associatif parmi les étudiants en dehors de tout engagement politique, tout en préconisant une sélection plus sévère afin de rendre à l’université son caractère formateur abandonné au profit d’une « boutique à diplômes ». L’organisation catholique de Romolo Pirtrobelli et de son assistant ecclésiastique monseigneur Costa se vit reprocher un élitisme et un esprit théorique qui l’incitèrent à chercher des solutions plus concrètes. Elle mena d’importantes enquêtes qui permirent de souligner en 1957 l’insuffisance du niveau des connaissances en sciences humaines et sociales, l’incapacité de l’université à concilier la recherche scientifique et la formation professionnelle et enfin une crise de la culture liée au manque d’unité du savoir.
Les années 1950 s’achevaient sur le Plan décennal de l’école du gouvernement d’Amintore Fanfani (1958) qui mettait fin à une décennie de gestion « par voie administrative » faite d’aménagements ponctuels. Les gouvernements de la République inversèrent la tendance centralisatrice du régime fasciste en octroyant l’autonomie aux universités. Il en résulta une multiplication des sièges annexes d’universités existantes et la création de nouveaux établissements qui devaient améliorer la démocratisation de l’enseignement supérieur et sortir les régions méridionales de leur isolement économique et culturel ; mais ils servirent les intérêts des forces politiques locales plus qu’ils répondirent aux exigences économiques du pays et d’instruction supérieure des populations. Ils contribuèrent à une fragmentation du système universitaire et à l’augmentation de ses dépenses sans effets conséquents. La FUCI en était consciente et, en dépit de ses liens avec la Démocratie chrétienne, elle critiqua l’incapacité des gouvernements de centre gauche à gérer correctement l’université (R. Sani, La politica scolastica del Centro-sinistra (1962-1968), Brescia, La Scuola, 1990 ; S. Sani, La politica scolastica del Centro-sinistra (1962-1968), Pérouse, Morlacchi Ed., 2000). Les propositions du ministre Luigi Gui d’une nouvelle organisation de la recherche et de la didactique dans les départements universitaires échouèrent devant le parlement et la FUCI déplora l’absence des choix drastiques indispensables (D. Gabusi, La svolta democratica nell’istruzione italiana. Luigi Gui e la politica scolastica del Centro-sinistra, Brescia, La Scuola, 2010 ; A. Graziosi, L’università per tutti. Riforme e crisi del sistema universitario italiano, Bologne, Il Mulino, 2010).
L’élection pontificale de Jean XXIII avait induit la révision critique de la mission de l’Église dans le monde, qui privilégia le spirituel dans les milieux étudiants catholiques italiens. Au tournant des années 1960, sous la présidence d’Enrico Peyretti, la FUCI prêta une attention particulière au rapport entre l’université et la vie religieuse. Cette orientation contribua à la couper des réalités universitaires et accentua le désintérêt des jeunes catholiques pour la société de leur temps. L’organisation étudiante s’enferma dans l’orbite plus étroite de l’Action catholique en renonçant à des ouvertures qui lui avaient valu nombre d’adhérents les années précédentes. Les fortes tendances centralisatrices qui traversaient l’Action catholique finirent par isoler la FUCI et la conduisirent à la grave crise de la seconde moitié des années 1960. L’organisation qui avait su auparavant anticiper l’événement dut se contenter de subir les effets du concile Vatican II. Certes, ses dirigeants manifestèrent, à l’invitation de Paul VI, leur intention de s’intéresser à nouveau à la réforme de l’université ; mais ils l’envisageaient sous un angle caritatif, sans prendre en considération la politique universitaire. Les cercles de la FUCI tendaient à devenir des communautés de prière et d’élévation spirituelle.
Dans le sillage du concile, la préoccupation dominante était la libération de l’Église de toute ingérence temporelle susceptible d’affaiblir son action spirituelle. L’Action catholique se déchargea sur la Démocratie chrétienne et sur d’autres associations charitables des tâches chrétiennes d’animation politique et sociale. Devant une crise qui menaçait l’unité politique des catholiques, la FUCI continua à négliger l’engagement militant. Elle se trouva totalement démunie lorsque l’« Intesa universitaria », qui regroupait toutes les composantes catholiques lors des élections universitaires, entra en crise. L’organisation étudiante critiqua les interventions de la police dans les universités et leurs suites judiciaires en invoquant la nécessité d’un dialogue ; mais elle se trouva dans l’incapacité de remplir son rôle modérateur traditionnel lorsque la contestation étudiante de 1968 posa le problème du recours à la violence pour sortir de la légalité (A. Breccia (éd.), Le istituzioni universitarie e il Sessantotto, Bologne, CLUEB, 2013). À la fin des années 1960, le monde catholique italien se présentait comme un corps hétérogène où le fossé entre le clergé et les jeunes générations apparaissait difficile à combler. La FUCI fut incapable de prendre des initiatives et de faire preuve de l’audace novatrice qui doit accompagner l’action du chrétien. Le nombre de ses adhérents s’effondra, parfois de 80 à 90 %, certains d’entre eux n’hésitant pas à rejoindre des organisations de gauche ou d’extrême gauche.
L’ouvrage de Pomante s’achève sur un riche appendice documentaire relatif aux années du second après-guerre qui enrichit le texte. Le livre permet de mieux comprendre l’échec des réformes universitaires italiennes des années 1960 et l’incapacité des organisations catholiques à les faire aboutir. Il montre comment la crise de 1968 fut à l’origine d’un processus éloignant la jeunesse de l’Église et accentuant la laïcisation de la société italienne.
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