di Andrea Sangiacomo, Bulletin de bibliographie spinoziste XXXVI, pp. 731-732
Parmi les livres de sa bibliothèque, Spinoza possédait une anthologie d’écrits rationalistes et cabalistiques éditée par Joseph Shlomo del Medigo et publiée en 1629. Ce recueil présente aussi la première version imprimée de L’examen de la Religion (Behinat ha-dat), composée en 1490 par le philosophe juif Elia del Medigo. Le livre de Giovanni Licata – tiré d’une thèse de doctorat présentée à l’Université de Macerata sous la direction d’Omero Proietti – nous offre la première traduction italienne de L’examen de la Religion avec le texte hébreu selon l’édition de 1629 (mais corrigé, et comprenant les variantes des éléments censurés, selon la plus récente édition Ross de 1984). De plus, le livre propose une ample reconstruction de la vie et de l’oeuvre d’Elia del Medigo, complétée par une analyse minutieuse et très érudite de L’examen de la Religion. Par ce biais, Licata se propose de démontrer deux hypothèses remarquables: premièrement, L’examen de la Religion est un ouvrage averroïste et, deuxièmement, on peut le considérer comme une source textuelle directe des influences averroïstes présentes dans le Traité Théologico-politique.
Le problème de l’averroïsme de Spinoza a été relativement peu étudié jusqu’à présent. Dans un article publié en 2002, Filippo Mignini (3) traçait une voie de recherche qui soulignait plusieurs points pouvant suggérer une dépendance de la philosophie de Spinoza par rapport à la tradition averroïste. Omero Proietti et Carlos Fraenkel (4) ont à leur tour creusé cette piste de recherche. Le travail de Giovanni Licata propose une contribution majeure dans ce domaine en dégageant de nouveaux matériaux historiques et philologiques pour étudier l’héritage averroïste de Spinoza. Après une première partie dédiée à la vie et à l’oeuvre d’Elia del Medigo (p. 23-99), Licata présente l’histoire du texte de L’examen de la Religion avec une étude détaillée de sa réception (p. 103-285) et une analyse très pointue des lieux parallèles et des cryptocitations qui révèlent comment cet ouvrage pourrait bien être considéré comme une « adaptation en hébreu des oeuvres philosophiques et théologiques d’Averroès » (p. 18).
Avec la même méthode comparative, Licata relève une série de points de convergence entre le texte de del Medigo et le TTP de Spinoza (p. 257-285) : 1) séparation entre philosophie et théologie ; 2) critique de Maimonide ; 3) critique des théologiens ; 4) légitimation de la philosophie à partir de l’écriture elle-même ; 5) l’esprit comme véritable lieu de la révélation; 6) critique des miracles ; 7) les dogmes de la foi. Sur ces deux derniers points, Licata ne manque pas de souligner aussi les differences entre la position de Del Medigo et celle de Spinoza (beaucoup plus radicale), mais la comparaison se montre tout à fait convaincante; elle nous invite à une étude plus approfondie de L’examen. Pour explorer la complexité de ce texte (p. 287-378) la traduction et les commentaires de Licata sont très précieux.
Le lien entre Spinoza et Averroés nous permet d’approfondir la véritable signification et la racine historique plus profonde des « lumières radicales » dont Spinoza est le symbole. Comme l’explique si bien Filippo Mignini dans son introduction, l’averroïsme est « une voie ouverte dans la civilisation arabe, dans l’esprit du plus grand commentateur d’Aristote. […] La voie averroïste de la raison a été historiquement configurée comme prémisse et prodrome des Lumières, et des soi-disant Lumières radicales en particulier » (p. xI-xII). De ce point de vue, le livre de Licata peut servir de point de départ à l’exploration des idées et des racines de la philosophie spinozienne, qui mérite encore de profondes recherches.
3. F. MIGNINI, Spinoza e Bruno. Per la storia di una questione storiografica, in D. Bostrenghi e C. Santinelli (a cura di), Spinoza. Ricerche e prospettive, Napoli, Bibliopolis, 2007.
4. Voir, par exemple, O. Proietti, Uriel da Costa et l’« Exemplar humanae vitae », Macerata, Quodlibet, 2005; C. FRAENKEL, Spinoza on Philosophy and Religion: The Averroistic Sources, in C. Fraenkel, d. Perinetti and J. Smith (eds.), The Rationalists, Dordrecht, Springer, 2011, p. 27-43.