di Michel Ostenc, Bulletin bibliographique, n. 164
Ce volume contient les actes des colloques de Rome et de Macerata (mars 2010) dédiés au père jésuite Matteo Ricci à l’occasion du IVe centenaire de sa mort. Les communications ont montré que le mouvement missionnaire des XVIe et XVIIe siècles était imprégné de l’esprit créateur de l’époque post-tridentine. Identité et confrontation furent les deux caractéristiques de la mentalité de « l’homme baroque » en Orient comme au Nouveau Monde. Le catholicisme européen en plein renouveau générait de nouvelles expériences dans de nouveaux horizons. Il s’agissait d’une religion de l’Incarnation parce que l’histoire du christianisme dans sa version tridentine est Incarnation continuée.
La lente élaboration du « ratio studiorum » des collèges européens s’inscrivait dans une perspective de retour à l’esprit du patrimoine scientifique et littéraire des humanités classiques. Les missionnaires ont cherché à reproduire en Chine ce modèle didactique où la philosophie aristotélicienne occupait une place essentielle. Ces études mathématiques des phénomènes servaient de propédeutique à la théologie au même titre que ses spéculations métaphysiques. Les pratiques herméneutiques appliquées à l’étude de la tradition païenne furent également utilisées pour les textes de tradition confucéenne afin de valoriser les éléments qui pouvaient servir à la diffusion du message chrétien. Héritiers de l’optimisme humaniste et de sa confiance dans la nature humaine, les Jésuites croyaient à une révélation primitive dont les peuples païens conservaient des éléments et ils apercevaient des similitudes entre les croyances chinoises et l’Ancien Testament. Le catholicisme chinois va superposer aux pratiques anciennes des rites chrétiens susceptibles d’ouvrir vers la spiritualité.
Matteo Ricci a introduit une existence spirituelle particulière dans l’obéissance à l’esprit du Christ et à l’expérience ecclésiale tirée de son ordre religieux. La force mystérieuse du Saint-Esprit l’a aidé à réaliser l’unité de la vie spirituelle et de la mission d’évangélisation en lui inspirant une méthode missionnaire novatrice. En ce sens, il a également rempli un devoir théologique en prenant conscience de la nécessité d’adapter le message chrétien à la situation concrète de celui qui est disposé à l’entendre. Matteo Ricci acquit une connaissance de la Chine, de ses traditions et de ses religions à travers la culture confucéenne avec laquelle il était en contact étroit. Les limites de sa connaissance du taoïsme et du bouddhisme furent également imputables aux informations disponibles dans la classe des lettrés confucianistes qui occupait une place éminente dans la société chinoise de l’époque. Chez Matteo Ricci, la supériorité intellectuelle et religieuse céda ainsi le pas à une admiration croissante pour la pensée philosophique et la religion naturelle de la Chine antique. Le missionnaire jésuite s’adressait à la classe dirigeante chinoise des mandarins qui formait l’élite du pays et l’ossature d’une bureaucratie à laquelle on accédait par des concours difficiles. Il correspondait avec elle dans une langue qui lui était familière et avec des arguments convaincants. Il entendait respecter les classiques du confucianisme et voulait proposer les fondements de la doctrine chrétienne à travers des anecdotes exemplaires empruntées à la littérature gréco-latine et aux thèses philosophiques européennes ; mais sa culture humaniste lui permettait de réfuter certaines doctrines du confucianisme et de combattre les tendances diffuses de la Chine de son époque à un syncrétisme néo-confucéen. Matteo Ricci a sorti beaucoup d’intellectuels chinois de l’isolement culturel dans lequel ils vivaient en leur donnant l’occasion de s’ouvrir à la pensée occidentale et d’y rencontrer l’Évangile. Il a présenté son message religieux sous une forme morale en utilisant une terminologie empruntée à une sagesse classique de marque stoïcienne qui s’alliait au confucianisme contre le bouddhisme et le taoïsme. Si des théories philosophiques et religieuses préexistantes dans la tradition chinoise n’avaient pas facilité l’acceptation des idées chrétiennes, les missionnaires jésuites auraient probablement rencontré de grandes difficultés dans la diffusion de leur message. La conjoncture historique de la fin de la période Ming, faite d’une grande anxiété et de soif intellectuelle, offrit des conditions idéales à la réception des conceptions catholiques.
La grammaire riccienne de l’évangélisation des cultures et de la diffusion de la foi était en perpétuelle évolution, non seulement dans son argumentation théologique, mais aussi dans ses analyses des expériences ecclésiales et missionnaires. L’évangélisateur devait acquérir une connaissance critique du monde auquel il s’adressait et servir de médiateur entre des cultures différentes. Cette communication réclamait une attention particulière pour le langage et les symboles caractéristiques d’une identité. L’expérience du don constituait un élément décisif de cette démarche sur le plan anthropologique aussi bien que théologique. Elle permettait une interrogation mutuelle sur les origines de l’être et le sens du réel. L’exorcisme de la peur de la mort fut une des caractéristiques essentielles du catholicisme pratiqué dans la Chine de la fin de l’empire Ming. Les pratiques funéraires occupaient une place importante dans les rites, confirmant le caractère central du culte des ancêtres et du traitement spirituel des âmes défuntes pour les chrétiens chinois. Jusque-là, les pratiques de préparation à la mort restaient une prérogative des membres les plus éclairés du clergé bouddhiste et de ses disciples qui ne leur accordaient qu’une valeur civile et politique ; mais la pratique religieuse catholique, avec ses livres de prières à caractère populaire, son iconographie spécifique et ses associations de pénitents toucha un public chinois appartenant à des couches sociales et à des niveaux culturels très différents. Ils étaient tous désireux de transformer le moment de la mort en une promesse de vie éternelle. Les convertis avaient compris la morale des enseignements relatifs à la mort, mais aussi les dimensions spirituelles offertes par l’Église. Les missionnaires jésuites distribuaient des croix aux convertis en leur demandant de ne pas les exposer dans les moments de persécution antichrétienne pour garantir la continuité d’une présence ; mais le nombre de martyrs chrétiens en Extrême-Orient au XVIIIe siècle montre la sincérité des conversions.